parfumeuse exclusive de la Maison Hermès
“On gagnerait à sentir les gens plus qu’à les regarder.”
Cet échange s’est déroulé au sein du studio de création de la parfumeur Christine Nagel que j’ai eu le plaisir de rencontrer. Dans l'atmosphère feutrée et odorante de son atelier, nous avons discuté de la place dédiée au parfum et à l’olfaction dans notre société et de sa propre vision de son métier aujourd’hui. Un regard sensible sur ce sens subtile.
Le droit ne reconnaît pas le parfum comme une œuvre de l’esprit, que pensez-vous de cela ?
En effet, du point de vue du droit, les parfumeurs ne sont pas reconnus en tant qu’artiste à part entière. Pour ma part, je n’ai pas de soucis avec cette vision des choses. Quand on est parfumeur on est le plus souvent salarié et donc ce statut ne nous rapproche pas de celui d’auteur. Peut-être que certains confrères sont en désaccord et souhaiteraient accéder à un statut hybride. Mais pour ma part, je ne considère pas que je suis l’auteure des parfums Hermès car je travaille pour cette maison et les droits lui sont réservés, c’est comme les artisans, chacun œuvre pour la Maison, on se met au service d’elle. Ce fonctionnement a été clairement explicité à mon arrivée et je suis donc en accord avec celui-ci.
Comment ressentez-vous vos parfums lors de leur création ?
Tout d’abord, la notion de synesthésie est très importante pour moi. On fait souvent des rapprochements entre la musique et le parfum, car les mots sont proches (on parle de notes, d’accord), mais pour moi, je ressens plus intimement un rapprochement avec le sens du toucher. En effet, je peux décrire mes parfums en textures et même parfois en couleurs. Je dois dire que j’imagine dans certains cas un parfum en couleurs avant sa création.
Que pensez-vous des modes de présentation de la parfumerie aujourd’hui en boutique de luxe ?
Dans le cas d’Hermès, la présentation des parfums est relativement simple en boutique, cela est voulu par la Maison.
Pour autant, lorsque j’entre dans une boutique Séphora, je suis immédiatement noyée par le brouha olfactif qui s’y dégage ! J’ai même du mal, après un certain temps, à discerner les fragrances que je sens, et pourtant, je suis du métier, alors je n’imagine pas le grand public !
Je pense que ce qu’on oublie souvent dans la présentation des parfums, c’est que le parfum, c’est avant tout l’invisible et l’immatériel. On ne peut pas dire ce que sent quelqu’un, car c’est impalpable. C’est en cela une expérience très personnelle qui touche nos souvenirs. Dans ce sens, je pense qu’il faut surtout vivre un peu avec le parfum lorsque l’on souhaite l’acheter. Par exemple, il faudrait le porter un peu sur la peau, faire un tour quelques instants et revenir en boutique pour voir s’il nous ressemble vraiment. C’est une approche très fusionnelle de la fragrance.
On parle aussi beaucoup aujourd’hui du digital et je m'interroge souvent sur l’opportunité de la VR dans la parfumerie. Le seul souci avec cet outil, c’est qu’on est très vite happé par le casque et qu’on ne se concentre plus sur ce que l’on sent.
Enfin, je pense que dans votre cas avec votre projet, l’importance de la RSE est centrale et incontournable. C’est très important, maintenant on ne peut plus penser une exposition sans prêter attention à la RSE et être dans l’innovation à travers cela.
L’olfaction est un sens à part qui n’est que très peu exploité dans notre société, que souhaiteriez-vous développer pour une meilleure reconnaissance olfactive de vos parfums ?
L’olfaction est un sens à part qui n’est que très peu exploité dans notre société, que souhaiteriez-vous développer pour une meilleure reconnaissance olfactive de vos parfums ?
En effet, cela vient, selon moi, du fait que l’olfaction est un sens très primitif qui touche notre instinct, et cet instinct n’est pas du tout ce que l’on valorise dans nos sociétés, alors que pourtant c’est une part très importante de notre relation au monde. La question de l’apprentissage olfactif est donc très importante, car finalement personne n’apprend à ses enfants à sentir les choses, alors que cela apporterait des couleurs à la vie et élargirait nos perceptions ! Ce serait cet apprentissage qui me semblerait intéressant à développer.
On pourrait déjà prêter une plus grande attention aux expressions liées à l’odeur dans notre langue, qui sont souvent révélatrices de notre rapport à l’olfaction. À ce sujet, j’ai récemment vu une étude scientifique expliquant que lorsque l’on tombe amoureux d’une personne, c'est très souvent, car son odeur nous a été agréable et qu’elle contient certaines molécules odorantes proches de la nôtre. À l’inverse, si on prêtait plus attention à l’olfaction, on verrait que lorsque l’on commence à se détacher d’une personne, très souvent son odeur nous est de plus en plus désagréable. Cela est tout de même révélateur de la puissance de l’odeur !
D’autres parts, au niveau sociologique, il est intéressant de voir que le parfum ne répond à aucune mode, bien que l’on fasse souvent le rapprochement entre parfum et mode. Tout le monde, de façon générale, suit un temps soit peu la mode du moment. Avec le parfum, c’est différent. On ne peut pas porter sur soi un parfum qui ne nous correspond pas entièrement. Alors qu’on peut porter une veste, car elle est à la pointe de la tendance, on ne choisit pas un parfum, car c’est la dernière création qui vient de sortir. Encore une fois, c’est trop personnel et intime, et je dis souvent qu’on gagnerait à sentir les gens plus qu’à les regarder, on apprendrait beaucoup plus de choses d’eux !
Quel rapport au parfum et à l’olfaction observez-vous actuellement ?
Déjà, il faut faire la différence entre les pays. Certains pays d’Asie, notamment, sont très stricts en matière d’incendie et ne prendront jamais un diffuseur à parfum et privilégieront les palets parfumés et les parfums secs.
Il y a également la notion d’hygiène qui est super importante aujourd’hui, surtout suite à la pandémie. Par exemple, je ne testerai jamais une crème ou une huile dans un pot que tout le monde pourrait toucher. C’est quelque chose que vous devez avoir en tête lorsqu’on vous propose aux gens de sentir des choses.
Enfin, la pandémie a, de mon point de vue, été un vrai révélateur de l’importance de l’odorat. Certains l’ont perdu à ce moment-là et ont pu réaliser la part entière qu’ils perdaient dans leur relation avec leur environnement. Depuis, on voit alors un changement d’attitude et une attention supérieure à l’odeur, et j’irai jusqu’à dire, une envie de sentir autrement. ressentir par l’espace.
Après avoir évolué dans diverses sociétés de composition de parfum, Christine Nagel rejoint la Maison Hermès en 2014, en tant que directrice de création et du patrimoine olfactif, prenant ainsi la suite du parfumeur Jean-Claude Ellena.
Christine Nagel est notamment à l'origine du parfum Galop d'Hermès en 2016 ou encore de Barénia en 2024.
Lise Mathieu-Manuel
DSAA 2 Design d’exposition
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